Au nord de Paris, un immeuble moderne accueille l’atelier du New-Yorkais JonOne. L’homme enchaîne les expositions – il est actuellement à la Kolly Gallery (Zurich)- les voyages à travers le monde. Ses moments de calme, il les a souvent trouvés ici, dans sa «cellule dorée» comme il la surnomme quelquefois.
Pouvoir la découvrir est un plongeon privilégié au coeur de sa folie créative.

JonOne n’est pas encore arrivé. Sur le palier, un homme tout en muscle écoute de la musique. Guy Merlin, habits amples, casquette rouge et pectoraux imposants est le coach sportif de l’artiste. Professionnel de boxe anglaise, il l’entraîne trois fois par semaine, certaines fois plus, quand l’emploi du temps le permet. Derrière lui, entrebâillée, se trouve la porte sacrée, celle de toutes les imaginations : l’atelier. Une salle lumineuse envahie de pots de peintures, de bombes et de papiers.
Un côté désorganisé rassurant propre aux artistes. Les murs sont habillés naturellement par les coulures des œuvres accrochées. Deux d’entre elles portent le nom du peintre, répété à l’encre noire, en un contraste saisissant avec le blanc du support.
À même le sol, huit autres, en création. Il fait très chaud ici. «On met le radiateur assez fort pour permettre aux toiles de sécher plus vite», explique Fleur, l’assistante personnelle de JonOne, jamais bien loin. Un punching-ball est au centre de la pièce, se balançant au-dessus des toiles. Sur une étagère, deux casques de protections pour le visage. En face, plusieurs gants de boxe et des poids. Le sport est omniprésent ! JonOne arrive enfin, s’excuse, sourire charmeur aux lèvres. Il enlève ses chaussures, en enfile d’autres, recouvertes de peintures. «C’est vrai que j’adore le sport, j’essaye d’en faire régulièrement. J’ai calculé qu’en 2016, j’ai réalisé une exposition presque tous les deux mois. Le rythme était très soutenu, je n’étais quasiment jamais chez moi, mon ex-femme ne l’a d’ailleurs pas supporté. Si je ne veux pas exploser, je dois me dépenser physiquement», explique-t-il avant de s’accroupir au milieu de la pièce.
L’homme change la disposition de ses œuvres aux couleurs éclatantes, conçues par le biais de l’action painting — projection de peinture sur la toile formant une vision expressionniste abstraite. Pas de lettrage mais des serpents de bleu, de jaune, de violet, de vert, comme sortis directement du tube, énergiques, non maîtrisables. Chaque peinture, unique, est basée sur le hasard d’une trajectoire gestuelle. Certains traits tombés en couches épaisses forment un effet de relief tandis que d’autres, plus fins, se font chevaucher sans concession.
«Je n’aime pas que l’on me demande pour qui je réalise mes créations. C’est stupide comme question. Je les crée pour moi, en reflet de ce que je suis sur ce moment. Elles seront peut-être exposées, vendues, mais il s’agit d’abord d’un travail d’atelier. Je peins car j’ai envie de le faire, jamais pour les autres.»
Sa célébrité l’a rendu plus libre, ce qu’il reconnaît comme un luxe.
À côté d’un meuble couvert de pots de peintures, de marqueurs et de pinceaux, la photo imprimée d’une cabane est accrochée, immanquable. Au-dessus d’elle, une phrase écrite à la main au feutre noir : «Home Sweet Home».
JonOne ne manque pas d’éloges à son sujet. «J’adore cette maisonnette !» Vraiment ? Il y a de quoi être dubitatif. On dirait plus l’habitation solitaire d’une sorcière que la caverne d’Ali Baba. «Pas du tout, c’est la maison du bonheur ! Fleur a trouvé cette photographie sur internet, on l’a accrochée ici. Quand le rythme est trop soutenu, que ça devient de la folie dans ma prison dorée, j’aime regarder ce cliché. Je rêve alors de m’échapper, d’aller vivre là-bas…» JonOne s’exprime comme sa peinture, avec générosité et enthousiasme. Difficile de toujours percevoir la limite entre son monde imaginaire et le réel.
«J’ai beaucoup de chance d’être un artiste. C’est comme si j’avais gagné à la loterie. Quand j’étais jeune, je demandais à Dieu de me donner cette faculté, mon souhait a été entendu. Tous les jours, je peins avec mon ventre, mes tripes : je fais ce que j’aime. Mais je n’ai pas toujours eu la belle vie. J’ai même été homme-pipi à New York. C’était mon meilleur boulot», dit-il le plus sérieusement du monde. «Bien sûr, ça m’a forgé le caractère !»
Un disque dépasse de son sac, celui de l’auteur-compositeur anglais James Blake. Il l’introduit dans la chaîne, monte le son. «J’adore travailler en musique. J’ai été voir cet artiste en juillet dernier, à l’Opéra Garnier, quand il a collaboré avec le chorégraphe William Forsythe pour sa dernière création Blake Works 1. Cela fait partie des plus belles choses que j’ai vues ! Tous ces danseurs incroyables de l’Opéra qui évoluent sur la bande son du troisième album de Blake, les jeux de lumières, c’était tellement beau !» Un ballet néoclassique déstructuré, entre danse et musique électronique pour un rendu moderne : peut-on vraiment être surpris qu’il ait plu à l’artiste ? Lui qui semble jouer avec la déconstruction, le hasard, qui travaille sans relâche afin d’obtenir satisfaction, comme les danseurs pour façonner leur corps ?
JonOne chante en prenant un pot de colle et une peinture violette. Adossé contre le mur, il mélange les deux substances, épaississant sa matière. Puis il se met debout, saisit un pinceau, marche jusqu’au centre de la pièce. Son bras se lève en un geste rapide, décidé, la couleur se répand sur chacune des huit toiles, atterrissant arbitrairement. On jurerait pourtant qu’elle a pris la place attendue. «En ce moment, j’aime faire ce mouvement : cracher la peinture. C’est ma vie actuelle. Les choses changent tellement vite.»Perdu dans ses pensées, l’homme sautille d’œuvres en œuvres, concentré, silencieux.
Près de la fenêtre, de nombreuses bougies, hautes, avec des inscriptions, sont posées presque religieusement. «Je les achète dès que je vais à New York. Cela me rapproche un peu de mes parents nés à Saint-Domingue, là où le peuple allume des cierges pour le culte vaudou.» Plusieurs sont disposées à côté d’une photo en noir et blanc où un boxeur en tenue de combat lève les poings. «C’est mon père. Mais c’est un déguisement car il n’était pas boxeur, c’est moi qui avais insisté pour qu’il l’enfile et se fasse photographier !» Un souvenir heureux à en croire le sourire de Jon.
«Je ne veux pas être dans un ghetto de riche, ni de pauvre. Je veux pouvoir jongler avec ces différents mondes.»
Il pose son pinceau, passe ses mains sous l’eau et coupe la musique. Sans qu’aucune question n’ait été posée, l’homme poursuit : «J’ai eu pendant longtemps un superbe appartement de 100 mètres carrés à Paris. Je sais que je suis très chouchouté, je mesure ma chance. Mais je n’oublie pas d’où je viens. Nous étions une famille très pauvre.» Le ton employé se fait plus sérieux. L’artiste aurait-il souffert de remarques hâtives sur son ascension ?

«Quand je suis arrivé à Paris, j’ai beaucoup côtoyé les squats artistiques parce que je n’avais pas d’argent. L’Hôpital Éphémère (situé de 1990 à 1995 dans les locaux de l’hôpital Bretonneau, dans le XVIIIe arrondissement), les Frigos (squat conventionné dans le treizième) ou encore la Forge de Belleville (un squat actif de 1991 à 1996, attribué après évacuation des occupants à l’association Le Point Ephémère, à Paris XXe, NDLR). J’adorais l’énergie qu’on y trouvait et ces fêtes, continuelles. C’est un temps révolu. Je suis content à présent d’avoir cet espace, de pouvoir me concentrer. D’ici peu, je vais aller m’installer à Roubaix dans un atelier partagé.» Son visage s’illumine. «J’aurai une surface de 350 mètres carrés ! Voilà toute ma vie : je ne veux pas être dans un ghetto de riche, ni de pauvre. Je veux pouvoir jongler avec ces différents mondes.»
JonOne attrape un pinceau, se remet au travail. Il peint avec intensité et concentration. C’est un besogneux, le talent seul ne suffit pas, il le sait.
La porte de l’atelier reste entrouverte, accueillante, fédératrice, à l’image de son occupant ◊
Following my Path
Jonone
Kolly Gallery
Jusqu’au 12 mai
Kolly Gallery
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Inside JonOne art studio
In the north of Paris, a modern building is home to the studio of New York artist JonOne. The man is non-stop between exhibitions – he is currently at the Kolly Gallery – travels, and meetings all over the world. His moments of peace, he often found them here, his « golden cell », as he calls it sometimes.
Being able to visit it is a glimpse into his creative mind.

JonOne isn’t there yet. At the door, a big muscly man is listening to music. Guy Merlin, loose clothes, red cap on and impressive pectorals is the artist gym coach. English boxing professional, he trains him three times a week, sometimes more when his schedule allows it.
Behind him is the holy door, the door to his imagination: his workshop. It’s a bright room invaded with paint, spray paint cans and paper. A disorganised and reassuring side, proper to artists. The walls are decorated organically with the drippings of hanging pieces. Two of them bear the painter’s name, repeated in black ink, in a striking contrast with the white background of the canvas. On the floor, eight others are work in progress. It’s very hot in there. « We turn the radiator right up to help dry the canvases quicker. » Explains Fleur, JonOne personal assistant who is never far.
A punching-ball is at in the middle of the room, swinging above the pieces. On a shelve are two protection helmets for the face. Right in front, several boxing gloves and weights. Sport is omnipresent! JonOne finally arrives, he apologises with a charming smile. He takes off his shoes, and slip into different ones, covered in paint. « It’s true that I love sport, I try to do some regularly. I counted that in 2016, I had an exhibition every two months. The rhythm was very intense, I was never home, my ex-wife couldn’t stand it. If I don’t want to explode, I have to work out », he explains before squatting in the middle of the room.
The man changes the lay out of his bright coloured pieces, made through action painting – paint splashing on canvas creating an abstract expressionist vision. No lettering but instead snake shapes of blue, yellow, purple, green all looking fresh out of the tube of paint, energetic and untameable. Every paint is based on the chance of the gesture trajectory. Some lines fell of the tube in thick layers creating an embossed design, when other thinner lines overlap one another.
« I don’t like to be asked for who I do my creations. It’s a stupid question. I make them for myself, in a reflection of who I am at that very moment. They may be shown or sold, but it’s a studio work before anything else. I paint because I want to, never for anyone else. »
His celebrity made him freer, which he recognises as being a luxury.
Next to a cabinet covered with pots of paint, markers and paintbrushes, the printed photo of a shed is hung, unavoidable. Above her, a handwritten phrase in black felt: « Home Sweet Home. » JonOne is not lacking praise about it. « I love this little house! » Really? There is something to be dubious about. It looks more like the lonely habitation of a witch than Ali Baba’s cave. « Not at all, it’s the happiness house! Fleur found this photograph online and we hung it here. When the pace is too intense, and things get hectic, in my golden cell, I like to look at this picture. I dream of escaping, go and live there… » JonOne expresses himself the same way he paints, with generosity and enthusiasm. It’s hard to perceive the limit between his imaginary world and reality.
« I am very lucky to be an artist. It’s a bit like I won the lottery. When I was young, I was asking God to give me this skill, my wish was heard. Every day I paint with my stomach, my guts: I do what I like. But I haven’t always had a good life. I’ve even been toilet attendant in New York. It was my best job. » He says in the most serious way. « Of course, it forged my character. »
A CD is pocking out of his bag, it’s one of British author-composer James Blake. He puts it in the CD player and turns the volume up. « I really like to work with music. I went to see this artist back in July in the Opéra Garnier, when he collaborated with choreographer William Forsythe for his latest creation Blake Works 1. It’s one of the most beautiful things I have ever seen! All these incredible dancers of the Opéra who move to the sound of the third Bake album, the lightings, it was so beautiful! » A destructured neoclassical ballet, between dance and electronic music for a modern result: can one really be surprised that it pleased the artist? He who seems to play with deconstruction, chance, and who works relentlessly to get satisfaction, the same way dancers shape their bodies?
JonOne sings as he grabs some glue and a purple paint. Leaning against the wall, he mixes the two substances, thickening his material. Then he stands up, grabs a brush, and walks to the center of the room. His arm rises in a quick, decided gesture, the color spreads over each of the eight canvases, landing arbitrarily. One would swear though, that it took the expected place. « Right now, I like to do this movement: spit paint. This is my life today. Things change so fast. » Lost in thought, the man hops from piece to piece, focused, silent. By the window, many high candles, with writing, are set down almost religiously. « I buy them every time I go to New York. That get me closer to my parents born in Santo Domingo, where people light up candles for the voodoo cult. » Many are placed beside a black and white picture featuring a boxer in fighting gear, rising his fist up. « It’s my dad. But it’s a fancy dress, because he wasn’t a boxer. I insisted for him to put it on and get a picture! » A happy memory by the look of Jon’s smile.
He puts his brush down, washes his hands and turns the music off. Without no question asked, the man keep going: « I had a superb 100 square metres flat in Paris for a very long time. I know I am very looked after, I know my luck. But I don’t forget where I come from. We were a very poor family. » The tone is more serious. Has the artist suffered from hasty criticism about his ascent?
« When I came to Paris, I hanged around artistic squats a lot because I didn’t have money. The Hôpital Éphémère (located within the walls of the Bretonneau hospital in the 18th arrondissement, from 1990 to 1995), the Frigos (authorised squat in the 13th arrondissement) and the Forge de Belleville (an active squat from 1991 to 1996, given to the association of Le Point Éphémère in the 20th in Paris, after the evacuation of the inhabitants, editor note) I loved the energy we could find there and the continuous parties. It’s a gone era. I am happy now to have this space, to be able to concentrate. Soon, I will be moving to Roubaix in a shared workshop. » His face lights up. « I will have a surface of 350 square metres! This is all my life: I don’t want to be in a ghetto for rich or poor. I want to be able to juggle between these different worlds. »
JonOne grabs a brush and goes back to work. He paints with concentration and intensity. He is a hard worker, talent isn’t enough and he knows it.
The door of the workshop remains slightly open, welcoming and galvanising, like his occupant◊
Following my Path
Jonone
Kolly Gallery
Until may 12
Kolly Gallery
Bonjour , je suis graveur d’art sur Marseille , j’ai déjà rencontré Mr Jonone lors de son expo à Marseille , Et je cherche à le contacter personnellement par telephone ou autres ! Comment faire . Merci de votre conseil.
Bonjour, le plus simple est de passer par ses galeries. Bien à vous
Article intéressant
On en apprend un peu plus sur Jonone