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Comment les collages de Philippe Hérard équilibrent la capitale

Cela fait maintenant huit ans que le street artiste Philippe Hérard (né en 1966) réveille les âmes des murs parisiens.

Cela fait maintenant huit ans que le street artiste Philippe Hérard (né en 1966) réveille les âmes des murs parisiens. Rencontre au pied de sa dernière réalisation, rue de la Bidassoa (Paris 20), entre délicatesse des couleurs et sujet sociétal.

Juché sur un escabeau, Philippe Hérard peaufine son collage, une fresque de sept mètres de long. Derrière lui, une passante d’un certain âge, dos voûté, le prend en photo puis s’avance, presque sur la pointe des pieds. Elle lui demande d’une voix basse, comme pour ne pas le déranger, ce qu’il est en train de faire. Philippe est habitué à ce genre de contact, c’est même un de ses plaisirs.

« J’ai commencé tardivement à travailler dans la rue. Au départ, je produisais des acryliques sur toile pour des galeries, je ne connaissais pas du tout cette interaction, ce lien direct avec la rue. »

L’année 2009 marque le changement, la naissance de son art dans la rue. « Je venais de terminer des personnages coincés dans des bouées. A ce moment-là, je n’avais plus de lieu pour les présenter. C’était une période charnière un peu compliquée, pas très agréable. J’ai donc décidé de les coller dans la rue. » Un baptême urbain réussi.

Philippe Hérard travaille méthodiquement et de chez lui, au papier kraft ou journal, mine aqua et peinture. Il repère d’abord le mur avant de venir l’habiller. « Je ne demande jamais l’autorisation. Mais quand je peins ici, dans le 20 ème arrondissement, j’ai rarement de problème. Ils doivent aimer ce que je fais ! »

L’artiste descend de son échelle, contemple, songeur, son oeuvre. Des hommes dans des maisons en carton réalisées avec du kraft, se dégagent d’un ciel bleu tendre. « D’habitude je ne peins pas directement sur le support, c’est la première fois que je fais ça. » Comme son homme boué, le personnage des maisons est un thème récurrent. « Je l’ai créé quand la France a connu une vague de migrants en 2013. Je me posais beaucoup de questions, ces gens quittent leur maison pour chercher une meilleure vie que, souvent, ils ne trouvent pas. J’ai eu envie de parler de ce fait sociétal. Je me suis rendu rue des Couronnes dans le 20 ème arrondissement de Paris, et j’ai réalisé cette grande fresque en collage où l’on voit ces personnages, portant leur maison à bout de bras. »

Philippe Hérard- rue des Couronnes, Paris 20 - 2016 © T. Benedetti
Philippe Hérard- rue des Couronnes, Paris 20 – 2016 © T. Benedetti

On retrouve les couleurs propre à son art : le bleu ciel et une déclinaison de marron entre sable et foncé. Les cartons ont volé, s’amassent les uns sur les autres, comme propulsés par un vent marin dont les embruns se seraient déposés au sol, blanc. Les humains regardent impuissants ou fatalistes, cette montagne d’abris empilés, balayés comme s’ils ne pesaient rien. L’oeuvre a depuis disparu mais elle a marqué ceux qui ont eu la chance de la croiser.

Les sujets de Philippe Hérard ne sont jamais faciles, souvent, le visage s’assombrit devant le gâchis humain, comme ici rue de la Bidassoa.

« Je n’ai jamais été à l’aise avec les mots. Je ne sais même pas d’où me vient tout ça. Je le vis comme un besoin, un équilibre. Oui, il y a peut-être un côté dur ou mélancolique dans mes créations. J’essaie juste de tourner en ridicule des situations compliquées qui me dépassent ou m’interrogent et je le fais par l’intermédiaire de mes personnages, placés dans des postures inconfortables. »

Il y a quatre ans, l’artiste réalise une série de portraits très particulière. Sutures représente des enfants, des hommes et des femmes de tout âge, avec des cicatrices sur le visage. « J’aimais l’idée de placer cette plaie sur une figure et de la recoudre avec du vrai fil. »

Sa méthode de travail passe par le logiciel Photoshop. « Je prends d’abord la personne en photo avec du scotch posé sur sa figure. L’idée est de donner naissance à des boursouflures. Puis je travaille l’image avec Photoshop ce qui me permet de supprimer le scotch et de ne garder que les gonflements de la peau. Je dessine ensuite le visage sur la toile en donnant naissance à cette cicatrice que je couds réellement avec du fil et une aiguille. J’adorerais que l’on me demande de peindre un portrait de familles où chacun serait cicatrisé. »  Pourquoi ferait-on une telle commande ? « Et pourquoi pas ! Une personne âgée m’a bien commandé son portrait avec une de ces fausses cicatrices! Ca l’amusait. »

L’artiste ne signe jamais ses œuvres et ne leur donne pas de noms. « Chacun son boulot ! Moi je propose et les gens se débrouillent avec mes créations. Ce sont eux qui ont baptisé mes hommes. Ils les appellent les Emboués ou les Gugusses. »

A quoi bon chercher des mots que le pinceau apporte ?

Prochain gros projet, la Norvège, dans les Fjords. L’idée est partie d’une rencontre, comme souvent. Un couple franco-norvégien président d’une association orientée Land Art, remarque sa fresque rue des Couronnes. L’émotion est immédiate et suscite l’envie d’une collaboration.

« Il y a sur la petite île de Tyssoy, un vieux port aux hangars immenses, au moins 12 mètres de long. Je vais les habiller de mes collages à partir de la fin du mois de mai, l’inauguration est prévue le 5 juin. Les œuvres sont tellement grandes qu’on ne pourra en voir certaines en entier qu’en arrivant sur l’île en bateau ! »

Mais il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour découvrir et apprécier l’univers de l’artiste, toujours en mouvement. Les rues parisiennes exposent son travail toute l’année. Certains de ses individus tirent la langue, d’autres sont accrochés à un fil, assis en haut d’une échelle ou sur des chaises. On ne voit pas toujours leur visage mais le corps parle pour eux. Accroupi, étiré, recroquevillé, nu, il exprime un sentiment très visuel. Le collage reflète nos propres émotions, pitié ou colère.

Et les murs de notre capitale deviennent subitement intéressants, poétiques.

Où voir ses œuvres ?

Principalement dans les 19ème et 20ème arrondissements de Paris

Le Cabinet d’amateur
12 rue de la Forge Royale
75011 Paris
lecabinetdamateur.com

Galerie Joël Knafo
21 Rue Véron
75018 Paris
joelknafo-art.com

Urban Art Fair
Stand de la Galerie Joël Knafo
20 au 23 avril 2017
urbanartfair.com

1 comment on “Comment les collages de Philippe Hérard équilibrent la capitale

  1. merci pour cette belle découverte 🙂

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