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Interview du photographe Sébastien Alouf sur l’œuvre colossale de Denis Meyers.

Pendant un peu plus d’un an et demi, le photographe et cinéaste bruxellois Sébastien Alouf a suivi l’artiste Denis Meyers dans sa folie créative.

Pendant un peu plus d’un an et demi, le photographe et cinéaste bruxellois Sébastien Alouf a suivi l’artiste Denis Meyers dans sa folie créative : investir artistiquement et à lui seul, une ancienne firme de 50 000 M2 avant sa destruction récente. Un livre et un documentaire sont en préparation.

Denis Meyers ©Sébastien Alouf
Denis Meyers ©Sébastien Alouf

Pourquoi Denis Meyers a-t-il recouvert de typographies l’ancien siège du groupe de chimie Solvay à Ixelles (Belgique) ? Sébastien n’en sait rien et n’a même aucune connaissance du projet quand il rencontre en 2015, ce garçon de 36 ans. L’artiste belge a déjà son idée en tête. Il a vu cette bâtisse que la famille Solvay souhaite vendre et l’idée germe de raconter avec son art, l’histoire de cette fratrie. Opposition catégorique des protagonistes, terrain sensible, il ne faudrait pas soulever de polémiques auprès des salariés. Déception. Alors quand Denis apprend que le bâtiment change de promoteur immobilier, il retente. Ses volontés ont évolué, liés aux circonstances de sa vie. Il veut un énorme projet, de ceux qui réconcilient les problèmes de couple, effacent les ruptures.

Ce serait une œuvre monumentale et totalement éphémère puisque des appartements de standing doivent voir le jour en 2016. Les nouveaux promoteurs Allfin et BPI acceptent. Août 2015, début du projet.

Denis Meyers en plein travail
Denis Meyers ©Sébastien Alouf

« Je rencontre Denis pour la première fois lors d’une soirée d’été. Nous sympathisons vite, il faut dire que nous avons des affinités, ma mère a été son professeur de typographie à l’école d’art et de design La Cambre (Bruxelles) et ma grand-mère fut une bonne amie de son grand-père Lucien De Roeck graphiste et affichiste belge, un homme important pour Denis. Il venait juste de débuter son projet et me propose de le découvrir. Je ne suis pas fan d’art urbain et encore moins des endroits désaffectés. J’hésite. Mais le gars est sympa. » Sébastien vient de mettre un pied dans l’engrenage. Cette journée ne sera pas unique, suivie de bien d’autres, nombreuses.

«  On arpentait les couloirs vides, les salles, c’était tellement grand ! Il m’a vite proposé de photographier son travail. Mais ce qui me fascinait, c’était lui. Sa façon de bosser, d’être seul dans ce lieu immense, d’écrire ses souvenirs sur les portes, les murs, les fenêtres. Cette ardeur qu’il avait d’aller à la mine tous les jours. J’étais censé ne pas le prendre en portrait, il déteste, s’excluant de son œuvre. Il voulait juste témoigner de son projet, nommé Remember, Souvenir. Mais peine perdue. Je ne compte plus les clichés que j’ai de ses traits, de ses gestes. »

Il n’était pas question de remplir autant de surface. Du moins, pas au départ.

Juste prouver qu’il peut réaliser un projet d’une telle ampleur, s’investir sur du long terme. A qui ? A lui d’abord, à son entourage aussi et surtout. Une compagne qui ne veut plus de lui. « C’est parce qu’il vient de se séparer qu’il se lance corps et âme dans ce projet, qu’il y dort même la nuit. L’hiver, la température est insoutenable. Il fait presque plus froid dans le bâtiment qu’en extérieur. D’ailleurs, il lui est arrivé plusieurs fois d’avoir les doigts gelés en travaillant. Mais il veut prouver qu’il peut faire des choses sérieuses, efficaces. »

De là, son envie grandissante d’investir toujours plus les mètres carrés. Il dépose à la bombe des phrases tirées de ses pensées ou de poèmes aimés. Très rapidement, les mots deviennent des caractères abstraits. « Il continuait à raconter sa vie mais sans que cela puisse se lire. Seuls quelques verbes, noms, toujours très intimes et à l’infinitif, ressortaient. « Haïr », « Amour », « Pardonner ». Dans une pièce, les photocopies de ses nombreux carnets de dessin tapissent les murs.

Huit mois plus tard, Denis a terminé son œuvre. Il a maigri, son visage s’est creusé. Mais il a réussi ce qu’il voulait.

Visiter les lieux en caméra 360 degrès – VR

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L’association bruxelloise Arkadia organise alors des visites guidées, le succès est au-dessus de toute attente, presque violent, trop soudain. Elles s’arrêtent à la fin de l’été 2016. Commence alors une longue attente. « Nous pensions que le chantier allait commencer mais il était sans cesse repoussé. Denis restait dans les lieux, comme le gardien du phare. Il n’y dormait plus mais y venait tous les jours. »

Et cette femme pour qui il a soulevé ce challenge ?

« Elle viendra, mais bien plus tard. Cela n’aura pas l’effet voulu car peut-être trop intrusif. Et puis la presse, les raccourcis sur leur histoire…je ne suis pas sûr que ça ait joué en faveur de Denis. Ils ne sont plus ensemble. »

Milieu du mois de mars 2017, les pelleteuses sont là. Immobiles, dressées, elles vont s’activer dans quelques minutes. « On ne pensait pas qu’ils démoliraient tout, aussi rapidement. En trois jours, ils ont rasé une aile complète du bâtiment ! »

A présent, il ne reste presque plus rien, les gravats s’amoncellent en attendant l’arrivée de nouvelles constructions. Sébastien revient encore sur les lieux, photographiant les derniers murs qui tiennent encore, solitaires et provisoires. Un livre est en cours de préparation, retraçant l’aventure artistique mais surtout humaine. Le bâtiment porte encore l’histoire de cet homme qui a tenté et réussi la prouesse de l’habiter, l’habiller par des lettres remplies d’intensité.

Un moment embrumé de sa vie, maintenant disparu dans les ruines, mais qui l’aura sûrement reconstruit psychologiquement.  ◼

Une page se tourne ©Sébastien Alouf
Une page se tourne ©Sébastien Alouf

Sebastien Alouf
Cinéaste, photographe et plasticien
http://www.sebastienalouf.com
http://www.sebal.be
https://www.vimeo.com/sebal74
instagram: sebal74

1 comments on “Interview du photographe Sébastien Alouf sur l’œuvre colossale de Denis Meyers.

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