L’Outsider explore, fouille, tente. Son style est en perpétuelle évolution, se poser serait un renoncement à l’infini des possibles artistiques. Ebéniste de métier, il est précis dans son travail, arrêté sur ses idées. L’avenir incertain du graffiti et son incompatibilité avec le travail sur toile, l’argent, les clichés : l’artiste se raconte.
16h30, dans le troisième arrondissement parisien. Ce soir, l’Outsider participe à un vernissage collectif organisé par la Kolly Gallery. C’est le temps d’un verre en terrasse avant l’arrivée des premiers visiteurs. L’artiste de 32 ans propose huit nouvelles oeuvres, toutes réalisées sur un support en bois, matière qu’il connaît bien :
« Mes parents m’ont guidé vers une filière professionnelle d’ébénisterie située en Bretagne, où je vis depuis. Je faisais enfin du concret, une renaissance pour moi ! J’y ai découvert un microcosme de graffeur, comme ce gars qui dessinait sur les tables scolaires. Ca me fascinait. Il m’a emmené dans un terrain vague et je n’ai jamais arrêté. Quand j’ai intégré, à Paris, l’Ecole Boulle (Ecole supérieure d’arts appliqués) mes contacts se sont encore renforcés. On peut dire que j’ai appris l’ébénisterie en même temps que le graffiti.»
Depuis deux ans, l’artiste vit complètement de sa peinture. « Je n’ai pourtant jamais eu ce souhait car je connais les concessions : créer des œuvres rentables, qui plaisent, éviter les risques. A nous d’imposer une autre logique, la difficulté est de trouver le bon équilibre. »

Si demain l’artiste plaisait moins, il retournerait à son premier métier. Cette sécurité monétaire lui donne peut-être une autre perception artistique, plus tranquille.
« Le monde de la galerie n’est pas une fin en soi et peu importe le futur, je n’arrêterai jamais la peinture. »
« Mon diplôme en poche, je me suis spécialisé dans la restauration de mobilier et d’œuvres d’art chez un antiquaire parisien puis dans le Faubourg-Saint-Antoine. Il y avait des gros projets mais la part créative était moindre, je devenais un technicien, précis, compétent mais dépendant. Nous faisions des réalisations intéressantes, comme la chambre du yacht de Steve Jobs ou des meubles pour Starck, ils étaient les designers et moi le technicien. Voilà pourquoi j’aimais avoir le graffiti en parallèle, peindre le week-end, m’évader en étant maître de mes aspirations artistiques. »
Beaucoup lui demandent pourquoi il n’invente pas des meubles en lien avec sa peinture, quand sa volonté est à l’opposé. Cette activité l’aurait bien trop rapproché de son travail !

Et puis un galeriste suisse, Julien Kolly, vient chez lui quelques jours, dans le Finistère, il découvre sa façon de travailler. Le courant passe. C’est le temps des premières ventes, suivies par d’autres, nombreuses. Le rythme est trop soutenu pour garder les deux métiers, l’Outsider choisit.
Sa recherche artistique surprend car toujours différente. Il aime varier les effets, s’inspirant de voyages ou de photographies personnelles. Un appareil photo l’accompagne, comme un compagnon fidèle, rangé dans un boîtier à la jolie patine beige.
« Le graffeur a un rapport particulier avec la photo car il en est contraint. S’il ne capture pas son graff, il n’a plus aucune trace. Je sais que certains artistes ne s’en servent jamais, cela me choque. C’est drôle à 25 ans, le côté désinvolte, mais moins à 45 ans où tu aurais peut-être aimé avoir une preuve de ton boulot. »
L’Outsider photographie ses œuvres mais aussi des éléments architecturaux. « Peut-être qu’un jour, je ferais une exposition photographique avec les graffs que j’ai réalisés et effacés dans l’instant, ou qui se trouvent dans des lieux abandonnés. Oui, il m’arrive de les supprimer juste après leur création. Je suis alors le seul à avoir la trace de mon action. »
L’art du graffiti, proche de l’artisanat selon l’artiste, n’est pas à prendre à la légère. L’homme a des idées bien tranchées sur le sujet. « Tout est lié au support. Peu importe que l’oeuvre soit à l’intérieur ou à l’extérieur, elle est non déplaçable. Elle ne peut donc pas se retrouver dans une vente aux enchères ! Et donc logiquement, le graffiti n’est pas mercantile. Quand je le vois sur toile, je ne comprends absolument pas. Plastiquement, c’est très pauvre, comme si tu achetais un maillot de footballeur.» Une façon de posséder une part d’un savoir faire mais totalement retirée de son contexte.
L’outsider n’attache pas grand cas des compliments, un danger dans une démarche artistique. « Concevoir du nouveau est un risque qu’il faut prendre, même si on te répète que tes œuvres valent le coup. Beaucoup d’artistes sont tombés dans ce travers qui rejoint une dimension mercantile. Le compliment peut empêcher la remise en question et donc l’évolution du travail. »
Il aime choisir son mur, préparer son travail, jouer avec l’environnement : une vraie plus value pour le graffiti. « J’ai eu une grosse période où je travaillais dans des endroits désaffectés, comme les nombreuses usines de conserverie de légumes. Le support que je choisi fait partie de mon travail. Évidemment, il m’est arrivé pas mal d’histoires car tu rentres au cœur des bas fonds humains. Il y a deux ans, je me promène dans une usine de Lorient et je vois cet homme couché par terre, une odeur très bizarre autour. Il avait été poignardé. »

L’artiste n’est pas un adepte de la toile, support mou qu’il faut déplier, mettre sur châssis. « Le matériau me bloque, le bois me correspond mieux, je vais continuer dans cette voie. »
Plusieurs de ses dernières œuvres sur bois reprennent la composition géométrique des drapeaux, éléments qu’il affectionne pour l’impact direct et ambigu de son message. En 2009, il réalise une fresque avec son pseudonyme en forme de drapeaux français, on lui en parle encore.
« J’ai senti que le terrain était sensible. Le sujet est connoté Front National. Que signifie un graff avec cet élément ? Que je suis nationaliste, que je me moque ? Mon ‘Abécédaire de drapeaux français’ présenté à l’exposition collective reprend cette idée. Je marie son symbole avec une typographie inspirée du graphiste français Cassandre (1901-1968), affichiste de référence. L’élément géométrique est simple, presque un logo, et pourtant son impact est fort.»

Les aiguilles de la montre tournent, les premiers curieux pénètrent déjà dans l’espace Oppidum. La Kolly Gallery propose des chocolats chauds rehaussés de crème chantilly, difficilement refusables. Le soir tombe doucement, les discussions vont bon train, les douceurs circulent, remplaçant la traditionnelle coupe de champagne.
Demain, L’outsider retrouvera sa terre de légendes. Il travaille déjà à une nouvelle série, inspirée des calligraphies chinoise et japonaise.
L’énergie créative de cet homme surprend, interpelle et semble sans limite, une chance pour nous.
L’Outsider
Kolly Gallery – Swiss Chocolate (Group Show)
Avec L’Outsider
Jusqu’au 23 avril
Espace Oppidum
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