Il n’est pas simple de choisir sept photos, ni plus ni moins, qui retracent des moments forts d’un parcours artistique. YZ, Yseult Digan, s’est prêtée au jeu.
L’artiste franco-anglaise YZ (née en 1975) est en train de terminer une toile quand nous poussons les portes de la salle blanche et rectangulaire de la majestueuse Villa Molitor. Une odeur de bois se dégage du lieu, de l’encens fume, on se croirait ailleurs, loin. Un sentiment en concordance avec sa dernière exposition, Queen of the Underworld. Ces reines à elle sont africaines, fières et fortes. Si YZ semble calme, sereine, réfléchie, on devine beaucoup de caractère et d’énergie derrière son sourire lumineux. Elle s’assoit, ne parle plus quelques secondes, pensive, choisit sa première photographie.
1. Les toits de New York – Open Your Eyes, New York, 2005

J’ai initié le projet Open Your Eyes dans les rues parisiennes, en 2003. Je peignais un pochoir minimal représentant un visage en noir et blanc, inspiré du rappeur New-Yorkais Divine Styler. L’emplacement très précis des œuvres avait pour but de former une figure sur le plan de la ville. Je suis ensuite partie à New-York réaliser ce portrait en grand format. J’y ai fait la connaissance d’Ema, une graffeuse. Nous nous sommes rendues toutes les deux à 5 Points (Queens) , un endroit mythique du graffiti New-Yorkais, rempli d’ateliers d’artistes. Rencontre avec Meres ( NDLR: Jonathan Cohen, Meres One de son nom d’artiste, gérait le Five Pointz) , vue sur Manhattan et métro aérien, c’est un très bon souvenir rappelé par cette photo. (NDLR : En 2013, les graffiti réalisés sur les murs du bâtiment de 20 000 m2 sont recouverts de peinture blanche, signant sa fin artistique.
2. Les photos d’archive – Women from Another Century, Paris, 2011

J’ai voulu essayer une autre esthétique, douce, poétique et plus éloignée du pochoir. Ces corps féminins sont issus de photographies d’archives du XIX ème siècle, chinées sur internet. Je m’en suis inspirée pour réaliser des collages grandeur nature. Je tenais à ce qu’ils soient en noir et blanc pour rester simple dans ma proposition. Injecter dans l’espace urbain ce côté vintage, ancien, m’intéressait : une vraie opposition. Le collage a disparu mais c’est ce qui me plaît. Il appartient à la rue quoiqu’il arrive. Les intempéries peuvent le supprimer, les gens peuvent l’arracher ou même parfois le vouloir chez eux malheureusement.
3. Retour aux racines – Back to the Roots, Guadeloupe, 2010

J’ai pris cette photographie en Guadeloupe où j’ai été vivre deux mois dans la maison de mon grand-père, à Sainte-Rose. Je ne l’ai jamais connu et j’avais besoin de retrouver mes racines. C’était une sorte de pèlerinage car la maison familiale n’avait rien : pas d’eau chaude, pas de cuisine, pas de meuble à part un lit : une vie très simple !
La femme en chapeau avec son cabas existe vraiment, j’ai pris ce cliché à Pointe-à-Pitre. J’aime beaucoup ce qu’elle dégage. Et puis le mouvement de sa robe avec le vent, je trouve ça très beau, très poétique. J’ai ensuite peint l’image puis je l’ai collée sur une des cases traditionnelles, en résonance à l’habitat des esclaves. Je m’en sens proche car descendante d’esclave.
4. Travailler dans l’inconfort- Angel, les Bains-Douche, Paris, 2013

La galeriste et commissaire Magda Danysz avait invité plusieurs artistes à venir investir les Bains-Douches, ancienne boîte de nuit mythique de Paris. Je voulais reproduire les sculptures que l’on trouve dans les cimetières. Je suis donc partie photographier les statues du cimetière monumental de Staglieno à Gênes et je suis tombée sur cet ange. Il me plaît car il est frontal, avec un regard intense. J’aime la manière dont ils s‘intègre à cet espace confiné, entre la bibliothèque et la cheminée. Lors de sa réalisation, le froid de la salle était mordant. Et puis ce trou, juste à côté de moi, dangereux. Cela amène une tension que je ne trouve pas inintéressante dans la réalisation d’une œuvre.
5. Un village fantôme- Lost in the city, Hong Kong, 2014

Il s’agit d’une photographie d’ornements que j’ai réalisée à Hong Kong dans un petit village des montagnes chinoises. Je m’y suis rendue en taxi, j’ai dû marcher un peu avant de le trouver. Le lieu était complètement abandonné. Des chiens sauvages aboyaient, j’étais seule. Il y avait beaucoup d’autels avec des offrandes, de l’encens. Quand je rentrais dans les maisons, les tables, les couverts étaient encore là, comme si les gens étaient partis précipitamment. Une ambiance très particulière. J’y suis retournée le lendemain. J’aime les couleurs de cette photographie, entre le bleu, le vert, l’orange. Il est intéressant aussi de voir comment la nature a repris le dessus.
6. Les reines du monde – Amazones, Sénégal, 2015

Je suis partie deux ans au Sénégal pour me retrouver, continuer ma recherche identitaire. Je voulais me confronter à l’histoire des Amazones de Dahomey, un ancien régiment militaire entièrement féminin. (XVII ème-XIX ème siècle)
J’ai donc créé une série de portraits tirée de photographies d’archives peintes sur papier de soie. La femme de mon cliché vendait des petits déjeuners pour les travailleurs. Avec son accord, j’ai collé un des visages d’Amazones sur sa case. Ces femmes africaines représentent le futur de l’Afrique, telles des guerrières, en gérant la vie familiale et leur commerce. Nous avons beaucoup à apprendre d’elles.
7. Peindre les minorités -Empress, Roubaix, 2017

Cette photographie montre une installation que j’ai réalisée à Roubaix pour l’exposition Street Générations retraçant quarante ans de Street art et de graffiti. Je travaille toujours sur le bois en noir et blanc et à l’encre de Chine. Mais j’y intègre à présent des éléments de récupérations, métal, caoutchouc, bijoux. Cette œuvre fait partie d’une série où je cherche à représenter les coiffes et parures de tête féminines du monde entier. Il s’agit ici d’une jeune Akha, peuple montagnard originaire de Chine. Nous avons beaucoup a réapprendre de ces cultures originelles.
Yseult DIGAN – YZ
Web: http://www.yzart.fr
Facebook: https://www.facebook.com/yzyseult
Instagram: https://instagram.com/yzyseult
Exposition « Queen of the underworld »
Villa Molitor
Jusqu’au 2 juillet 2017
2, avenue de la Porte Molitor
75016 Paris
www.mltr.fr
On ne peut se soustraire ni oublier ces regards qui vous regardent avec ces visages sans expression et figés dans leurs beautés éternelles. Ces portraits richement parés nous interpellent et questionne notre confort et la conviction détient la vérité.