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Quand un grand artiste s’interroge sur la mort d’un grand cinéaste

Si je reviens, Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini, documentaire auto-produit du collectif Sikozel, sur le travail de l’artiste Ernest Pignon-Ernest autour de l’assassinat de Pasolini.

Si je reviens, Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini, documentaire auto-produit du collectif Sikozel : le travail de l’artiste Ernest Pignon-Ernest autour de l’assassinat de Pasolini.

La pietà collée à l’Idroscalo de Ostie, à quelques mètres du lieu
de l’assassinat de Pasolini. 2015 ©collectif Sikozel

En 2015, l’artiste Ernest Pignon-Ernest (né en 1942) crée une image à la pierre noire, celle de l’écrivain et réalisateur italien Pier Paolo Pasolini (1922-1975), tenant son propre corps inerte dans ses bras, comme une Pietà laïque.

Le plasticien se rend dans le centre historique de Rome mais aussi au cœur de Naples et à Matera (sud-est de l’Italie) pour la coller clandestinement. Il n’oubliera pas la plage d’Ostie, station balnéaire à 15 kms de Rome où le corps de l’homme est retrouvé assassiné dans la nuit du 2 novembre 1975. Pasolini a été tué à coups de bâton puis écrasé par sa propre voiture. Un doute plane toujours sur sa mort. A-t-il été abattu par ce prostitué de 17 ans, au sujet d’une affaire de prestation sexuelle ? Le garçon reconnaît les faits avant de se rétracter. Son décès est-il politique ? Dû à des militants néofascistes ou aux services secrets ? L’enquête a été rouverte en 2010 et le mystère reste entier.

Un jeune collectif, Sikozel, caméra à l’épaule, suit le parcours de l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest, de sa création au collage dans les rues, 40 ans après la mort du poète-cinéaste. Leur film documentaire Si je reviens, Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini sort un an plus tard, totalement auto-produit. Il nous interroge à travers le collage du plasticien, sur cette mort mystérieuse et les sentiments que le cinéaste provoque encore.

Rencontre :

Comment est né Sikozel ?

Le collectif est né d’une idée de Luca, un des membres du groupe. Il a réalisé une étude universitaire sur le souvenir des collages réalisés par Ernest Pignon-Ernest à Naples à la fin des années 1980 – début des années 1990 : des corps grandeur nature dessinés à la pierre noire ou sérigraphiés sur du papier journal qui, une fois collés sur les murs du centre historique de la ville, faisaient réapparaître à leur surface les ombres de la mémoire, de l’histoire, de la culture des lieux.

En allant à Naples pour interroger les habitants sur ces œuvres éphémères, il s’est rendu compte que, malgré la disparition des images et le temps passé, la plupart des Napolitains s’en rappelaient clairement. Elles avaient été perçues à l’époque comme des apparitions et faisaient désormais partie intégrante de cet imaginaire collectif qu’elles voulaient exacerber comme des suaires de papier.

Luca a décidé de réunir un groupe d’amis de longue date (Simone et Matteo, cinéastes, Camilla et Amandine, historiennes de l’art et Federico, anthropologue) pour documenter ce qu’il avait expérimenté durant son étude, et laisser ainsi une trace de cette permanence.

© EPE Roma
A Rome, 2015 © EPE Roma

Ce n’était pas votre premier documentaire sur Ernest Pignon-Ernest ?

En effet. Nous sommes partis à Naples en 2013, sans un sou ni beaucoup d’expérience, et avons filmé durant les trois jours de Pâques, soit exactement 25 ans après les premiers collages d’Ernest Pignon-Ernest, réalisés en 1988 et depuis disparus.

Nous projetions les images d’Ernest aux endroits où ils avaient existé, afin de recueillir les réactions des Napolitains, leurs souvenirs, pour retracer la genèse et la vie de l’oeuvre à travers le regard de ses destinataires.

Notre premier film est sorti en 2014 sous le nom La pâques selon Ernest Pignon-Ernest.

L’artiste a vu notre réalisation, il a été bluffé par ces témoignages ! Nous y sommes retournés ensemble et grâce à l’aide de l’Institut Français de Naples, nous avons organisé un événement anniversaire autour de son travail, de la mémoire des habitants et de la transmission aux plus jeunes à travers des ateliers, des rencontres. Ça a été une très belle aventure.

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Ernest Pignon-Ernest colle sa Pietà laïque à Naples (Scampia), l’équipe filme. 2015 ©collectif Sikozel

Qu’est-ce qui vous fascine chez cet artiste ?

Ce qui nous captive chez lui, c’est sa richesse, sa justesse, sa dimension militante et toujours dialectique, tout comme le théâtre urbain qu’il active en dialogue avec les gens de la rue. Mais aussi, la générosité de son geste, le refus d’une sacralisation de l’objet artistique, la recherche, la réflexion, le temps passé dans la préparation de l’image, la dimension éphémère qui en exalte la force, les liens qui en découlent.

Nous avons des références communes aussi : la peinture italienne, Pasolini… On se sent en phase avec son panthéon et ses préoccupations culturelles, sociales et politiques.

Vous avez noué des rapports privilégiés ensemble ? Est-ce lui qui vous a prévenu de son nouveau projet sur Pasolini ?

On a eu cette chance de pouvoir se rapprocher de lui progressivement, d’instaurer une relation de confiance et de finalement devenir amis.

Lors d’un vernissage à Paris, il nous a confié son idée de travailler sur le cinéaste: il voulait revenir sur les lieux de sa vie, sa poésie et sa mort pour coller un double portrait à l’occasion du quarantième anniversaire de son assassinat.

Après avoir filmé la permanence de ses images disparues, c’était l’occasion de suivre ses collages et la réaction des gens face à ces images, qui plus est d’une figure – Pasolini – que nous apprécions beaucoup.

Entre mai et septembre 2015, nous avons ainsi réalisé le tournage du deuxième film, Si je reviens, Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini, qui est sorti en 2016.

Vous parlez d’une expérience extraordinaire, pourquoi ?

Le tournage a été une expérience formidable : se réveiller à 4 heures du matin pour suivre les collages, aller à la rencontre des gens. Mis à part des lectures de Pasolini, rien n’avait été préparé à l’avance. Ça a été une succession de rencontres inattendues, de bons moments entre amis, de poésie vécue.

Les collages les plus incroyables ont été ceux de Naples, notamment dans sa banlieue la plus dure, Scampia. Grâce à Sybille Atchouel, responsable du pôle culturel de l’Institut Français de Naples que nous avions connu lors de notre premier projet, nous avons rencontré Davide Cerullo, un enfant du quartier ayant connu la mafia napolitaine : la Camorra, et la prison. Sa rédemption s’est faite par la poésie, notamment de Pasolini. Il nous a ouvert les portes d’un monde apparemment infranchissable, donné les clés pour dépasser les clichés qui emprisonnent ses habitants, et l’opportunité d’y trouver une humanité qui n’a pas d’égal.

Nous sommes rentrés avec toute cette matière que nous avons ensuite monté de manière collective pour arriver au film final. Nous sommes d’ailleurs revenus à Scampia il y a quelques mois pour montrer le documentaire lors d’une projection organisée au sein-même des logements sociaux “les voiles”. (NDLR : bâtiments en formes de voiles de bateaux.) Tout le monde, dont Ernest, était réuni autour de Pasolini et sa poésie.

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Ernest Pignon-Ernest à Scampia, quartier populaire, banlieue de Naples. 2015 ©collectif Sikozel

Un souvenir incroyable lors du tournage ?

La chose la plus compliquée était de suivre le rythme d’Ernest ! Il nous semait tout le temps… Les bons souvenirs sont nombreux : le temps passé entre amis, les rencontres lors des collages, les cafés offerts chez les habitants de Scampia… Le collage sous le Pont des Anges à Rome était particulièrement drôle. Ernest a eu l’idée un peu folle de coller son image sur l’une des piles du pont, en référence au plongeon dans le Tibre du personnage d’Accatone (NDLR : Accatone est le héro proxénète du premier film réalisé par Pier Paolo Pasolini, sorti en 1961). La nuit tombée, on s’est retrouvés sous le pont, une voiture de gendarmes endormis stationnant au-dessus, Ernest sur un bateau gonflable traversant le fleuve et des passants qui nous regardaient bizarrement. C’était un mélange d’adrénaline et d’absurdité très drôle à vivre…

Entrer dans le quartier populaire des Voiles de Scampia et discuter avec ses habitants ont aussi été des moments marquants, tout comme la rencontre avec Pino Pelosi accusé d’avoir tué Pasolini.

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Ernest Pignon-Ernest en plein travail à Naples (Scampia). 2015 ©collectif Sikozel

Que voulez-vous montrer avec ce documentaire ?

Ca n’a pas été simple de trouver un équilibre dans ce film. Nous voulions faire un documentaire qui ne soit pas uniquement sur Ernest, ni sur la figure ou la mort de Pasolini où nous n’aurions pas été à notre place.

Nous avons donc essayé de prolonger le travail d’Ernest en montrant la vie de son oeuvre in situ et la réaction des gens. Nous pensons que cette dimension dialectique est centrale dans son travail et les journées suivant le collage nous l’ont bien confirmé.

Admirée ou arrachée, malgré la beauté incontestable de l’image, les gens n’y voient pas une « oeuvre d’art » mais Pasolini lui-même, comme s’il était là, en chair et os, comme s’il était revenu.

Où peut-on voir vos prochaines projections ?

Le 17 octobre, nous serons à l’Université Libre de Bruxelles. Le lendemain, à Charleroi au Rockerill, ancienne friche industrielle, nous projetterons le film lors du vernissage de l’exposition photos Lumières de Gomorra. (Des clichés d’enfants pris par le photographe Davide Cerullo dans le quartier de Scampia).

Nous serons également à Paris le 27 novembre à la Maison des Métallos (Paris 11).

D’ici la fin de l’année, nous montrerons probablement le film à Annecy et à Aix-en-Provence. Nous ne sommes pas des professionnels de la communication mais on signale toute nouvelle projection sur notre page Facebook ! ◊

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Se Torno (Si je reviens), Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini
Un film du Collectif Sikozel, France, Italie, 60 mins, 2016.

Projections à venir :

Mardi 17 octobre
Point Culture ULB – Université Libre de Bruxelles
Avenue Paul Héger
1050, Bruxelles
Belgique
bit.ly/SeTorno_ULB_Bruxelles

Mercredi 18 octobre
Rockerill
136 rue de la providence
6030 Marchienne-au-Pont
Belgique
bit.ly/LumieresDeGomorra-SeTorno_Rockerill

Lundi 27 novembre
Maison des Metallos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
http://www.maisondesmetallos.paris/2017/07/12/si-je-reviens

Autres dates à consulter sur le facebook du collectif :
https://fr-fr.facebook.com/collectifcollettivosikozel/

3 comments on “Quand un grand artiste s’interroge sur la mort d’un grand cinéaste

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