La nouvelle exposition de Nasty porte le nom intriguant de Disorder (désordre). L’occasion de parler de lui, à travers des clichés qui lui tiennent à cœur.
Mardi matin, dans notre capitale. L’artiste Nasty arrive avec sa nonchalance majestueuse. On souffle, soulagé, la rencontre aura bien lieu. Le timing était serré, il présente dans deux jours sa nouvelle exposition Disorder, à la galerie Brugier-Rigail (Paris 3). Un titre comme un trait de sa personnalité ? Son emploi du temps n’est pas évident, entre son travail et la peinture qu’il exerce depuis 1988. A moins que ce ne soit sa vie, jouant avec les aiguilles des montres, le rattrapant sans cesse. Un de ses charmes aussi. Son corps tangue toujours un peu quand il vous parle, entre une énergie débordante comme contrôlée momentanément et une sensibilité créatrice.
Nous lui avons demandé de sélectionner des photographies retraçant les moments importants de son parcours.
Les trains

Le mouvement du graffiti vient de la rue. Peindre des trains, c’est un peu la base ! Ce type de support rend cette pratique particulièrement belle car elle est contextualisée.
La photo a été prise récemment, dans un dépôt de train du nord de la France. J’étais avec l’artiste contemporain Psyckoze, mon grand frère dans le graffiti. J’aime ce cliché car il montre bien comment cette passion nous colle a la peau malgré les années qui passent.
Première Classe
Ce train a été réalisé début 1991. C’était encore l’époque des premières classes dans le métro. (NDLR : la première classe sera supprimée à la fin de l’année 1991) Tous les artistes voulaient poser sur ces wagons : des endroits inaccessibles, privilégiés donc recherchés. On peignait dans la journée avec mon pote Oeno (artiste parisien né en 1972), pas de nuit, bien trop dangereux. Nous devions être très rapide pour éviter de se faire prendre. Sans parler de l’odeur de la bombe !
Clichés d’avant
Quand je m’arrête sur ces clichés, beaucoup de souvenirs me reviennent. Ces photos ont été prises avec les appareils jetables de l’époque. Nous sommes tous très jeunes dessus ! Ces gens ont été importants pour moi, ils m’ont inspiré. Certains ont continué à pratiquer, d’autres ont choisi une autre route, la maladie en a emporté quelques-uns… Si tu regardes bien, il y a Psyckoze en bas à droite, mais également Epson ou les AEC (Artistes En Cavale). Ce sont des bons souvenirs, c’est agréable de se replonger dedans.
La bible du graffiti : Spraycan Art
Spraycan Art était Le livre qu’il fallait avoir, le seul médium qui nous faisait découvrir le graffiti.
Ce mouvement est né à New York : donc soit on avait la chance de pouvoir voyager, soit on regardait cet ouvrage, inspirant. On y trouvait la crème de la crème du graffiti. Il ne faut pas oublier que nous n’avions pas internet à l’époque. C’était une vraie bible ! Il y avait aussi les photographies magiques de l’américaine Martha Cooper. Je trouve toujours que ce livre doit être dans toutes les bibliothèques des passionnés.
(NDLR : Spraycan Art est paru en 1987, premier livre dédié au graffiti, réalisé par les américains photographes et auteurs James Prigoff et Henri Chalfant. L’ouvrage montre la progression internationale de cet art présent à New York bien sûr, son berceau, mais également à Vienne, Barcelone, en Australie etc…)
Plaque de métro
Quand la galeriste d’art contemporain Magda Danysz m’a proposé de sortir de la rue, je n’étais pas à l’aise. Etais-je légitime à entrer en galerie puisque je n’avais pas fait d’école d’art ? Elle aimait mon travail et voulait faire une exposition. Mais je ne me voyais pas peindre sur une toile. Mon travail sur les plaques de métro est né de ce tiraillement entre la rue et la galerie, il allait devenir ma marque de fabrique. C’est une façon de faire le pont entre ces deux univers. On peut même y voir une préservation du patrimoine puisque dans un futur proche, ces plaques émaillées seront remplacées par des panneaux digitaux. C’est très risqué de se les procurer, evidemment, j’ai déjà eu quelques soucis ! Mais le graffiti n’est pas un art de salon.
(NDLR : Magda Danysz est née en 1974 à Paris, comme Nasty. Elle tient une galerie rue Amelot dans le onzième arrondissement parisien, mais également à Londres et Shanghai.)
Les Bains Douches
Ce mur a été réalisé aux Bains Douches en 2013. Je me suis souvent fait recaler des boîtes de nuit, j’ai donc décidé d’écrire toutes les répliques entendues des videurs. Du vécu !
(NDLR : Les Bains Douches était une boîte de nuit située 7 rue du Bourg-l’Abbé, Paris 3, très fréquentée dans les années 1980. Elle ferme ses portes en 2010.)
Collaborations
Pour ses quarante ans, la Maison du Chocolat me donne carte blanche. Je suis chargé de réaliser une collection de coffrets qui sortira en juin 2017 sous le nom Choc is Chic By Nasty. Encore une façon d’amener le graffiti là où on ne l’attend pas. J’ai donc joué avec les sensations : le toucher de la boite est rugueux, comme si je l’avais créé sur un mur.
Calligraphie
Je fais de la calligraphie depuis 1992 mais je ne l’avais jamais intégrée à mon travail d’artiste. Ce panneau noir a été réalisé lors du Meeting of Style 2017, à Perpignan. On peut croire que cela ne ressemble pas à mon travail habituel alors que bien au contraire : c’est de l’écriture, comme le graffiti !
(NDLR : Meeting of Styles est un rassemblement basé autour de l’art urbain et plus particulièrement du graffiti. Depuis 2002, il parcourt le monde, s’arrêtant cette année à Perpignan)
Disorder
Cette œuvre en céramique est née d’un accident. Lors d’un transport, mes céramiques ont été cassées et décollées. Elles sont donc revenues chez moi dans un état lamentable : vous imaginez ma surprise. Je les ai mises de côté, dépité. Et puis, plus tard, bien plus tard, je suis revenu les voir. J’ai trouvé de l’intérêt à ce désordre. Il en naissait quelque chose d’autre, de très visuel. Finalement, de ce désordre naissait une cohérence. Cette idée sera le fil conducteur de ma nouvelle exposition, Disorder.
Les bombes deviennent tableaux
Cette fresque montre une autre partie de mon travail. J’avais gardé ces bombes en me disant que je m’en servirais peut-être un jour. Je cherche toujours à ce que mes créations aient un sens. L’idée m’est venue de les écraser et les relier entre elles pour en faire des toiles. Celle-ci s’appelle 400ml de rose, ce volume correspond à la peinture contenue dans une bombe de peinture.
La photographie laisse deviner mon atelier, à ciel ouvert. Il est adapté à ma technique : je travaille à la peinture aérosol, c’est très nocif ! La toile est visible à mon exposition. ◊
Nasty-Disorder
Jusqu’au 23 décembre
Galerie Brugier-Rigail
40 rue Volta
Paris 3
©Nasty
sauf pour les deux photos de l’artiste de dos au dépôt de train ©Nicolas Giquel
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