Sur un rideau de fer barcelonais, une peinture de la designeuse et tatoueuse Krista Bursey attire l’œil de Stéphanie Martin Petit, passionnée du grand écran. On y découvre l’actrice Anna Karina dans le film Vivre sa vie, réalisé en 1962 par Jean-Luc Godard. De là naît en 2013 un site internet, www.streetartcinema.com, et un livre, quatre ans plus tard, autour de deux arts extrêmement proches.

Pour mener à bien cet ouvrage d’envergure, Stéphanie travaille avec le commissaire d’exposition et fondateur de l’agence parisienne Le Grand Jeu, Christian Omodeo.
Le 14 septembre 2017, le projet devient concret avec la parution du livre Street art & Cinéma.
Quand avez-vous eu l’idée de collaborer ensemble ?
Stéphanie Martin Petit : Nous nous sommes rencontrés à un vernissage de l’artiste C215 à la mairie du XIIIème arrondissement. Christian Omodeo intervenait dans une conférence sur le street art. J’en ai profité pour lui présenter l’idée sur laquelle je travaillais déjà depuis quelques mois ainsi que les différents angles que je souhaitais lui donner. L’édition d’un livre en faisait partie. Je voulais documenter la cinéphilie dans l’art urbain.

Comment vous êtes-vous réparti le travail ?
Stéphanie Martin Petit : Cela a été décidé avec l’éditeur et puis il y avait une certaine logique. De mon côté, j’ai commencé ce projet par amour du cinéma donc il était évident que je m’occupe davantage de cette partie.
Christian Omodeo : Mon rôle a été celui d’accompagner cette histoire “urbaine” du cinéma par des textes qui illustrent les particularités de l’art de rue ou le parcours de certains artistes qui affectionnent la ville et son atmosphère. En même temps, j’ai essayé de comprendre d’où vient cette passion des artistes urbains pour le 7ème art, en décrivant les messages qui se cachent derrière le portrait d’un acteur ou actrice.
La majorité des illustrations provient du site internet Street art+Cinéma ?
Stéphanie Martin Petit : Elles proviennent toutes du site, oui. Le livre présente un échantillon de l’ensemble des œuvres trouvées depuis 2013, date de début du projet.
Stéphanie, pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement du site ?
Stéphanie Martin Petit : Je collecte, documente et partage toutes les œuvres d’art urbain qui font directement référence à un film ou à une personnalité du cinéma. Je trouve ces œuvres sur les sites internet des artistes, des réseaux sociaux mais de plus en plus de gens, artistes et photographes, m’envoient directement leurs photographies.
Ces œuvres sont placées sur une carte du monde selon leur emplacement (peu importe si elles existent encore ou pas, même si cette partie serait intéressante à documenter aussi dans le futur) et sont ensuite partagées quotidiennement sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram et Twitter).

Pourquoi avoir choisi cette couverture du livre, une référence au film 37°2 le matin du réalisateur Jean-Jacques Beineix ?
Stéphanie Martin Petit : Ce sont les éditions Pyramyd qui ont fait ce choix. Christian et moi avons approuvé pour ne pas dire adoré cette sélection. Il s’agit du travail de l’artiste parisienne Carol Pochoirs. Son œuvre fait référence à une affiche iconique d’un film culte des années 80 et son emplacement est urbain et coloré. (NDLR : Le film 37°2 le matin du réalisateur Jean-Jacques Beineix, est sorti en 1986. Il rendra célèbre Béatrice Dalle, Jean-Hugues Anglade et Gérard Darmon. Il est adapté du roman homonyme de Philippe Djian, publié l’année précédente).
Christian Omodeo : Les couvertures de la plupart des livres d’art urbain se ressemblent. Elles font toutes référence aux mêmes codes et mêmes artistes, sans respecter la diversité de la rue. Choisir une image mettant à la fois en avant une icône du cinéma et un lieu phare du graffiti parisien (les douanes de Porte de Pantin) était une manière de revendiquer un parti-pris. On voulait représenter la rue telle qu’elle est, sans filtres, parce que c’est ça qu’on aime dans l’art urbain.
Vous dressez en parallèle de l’histoire du cinéma, le portrait de six artistes.
Stéphanie Martin Petit : Beaucoup d’artistes, et tant mieux, font partie de ce livre. Des peintres du monde entier avec des influences et des techniques totalement différentes. Il nous semblait intéressant de faire un focus sur certains d’entre eux, parce que leur cinéphilie était particulièrement intéressante ainsi que leur approche de travail.

Christian Omodeo : La rue a ses contraintes et il est parfois difficile de suivre un projet dans son ensemble, parce qu’on n’a pas la possibilité de voir toutes les interventions d’un artiste. Il n’y a pas non plus cette médiation auquel le musée nous a habitués. La valeur de certains projets inspirés par le cinéma méritait tout simplement d’être soulignée.
En quoi ces artistes ont-ils offert une place particulière au cinéma ?
Stéphanie Martin Petit : Ils créent de la poésie urbaine en transposant des scènes du grand écran d’une salle obscure à la lumière des rues. Ils participent à perpétuer l’histoire de ces films en les offrant au regard des passants, ils peuvent même leur donner un nouvel angle de vue quand ils s’en servent pour un quelconque détournement.
Comment avez-vous décidé de leur emplacement dans le livre ?
Stéphanie Martin Petit : Depuis le début de ce projet, je documente les œuvres de façon chronologique suivant l’époque de l’histoire du cinéma à laquelle elles font référence et nous avons souhaité garder la même logique pour le livre.
Ce livre vous a fait découvrir ou redécouvrir des films ?
Stéphanie Martin Petit : Depuis que j’ai commencé ce projet, j’ai bien sûr découvert beaucoup de films, il y en a tellement ! J’aimerais que beaucoup de ces œuvres donnent envie aux lecteurs de découvrir les films dont s’inspirent les artistes.
Christian Omodeo : La vraie surprise a été qu’à partir des années 1970, il est parfois possible de dater un film en regardant juste les murs à l’arrière-plan ! Ou que l’industrie du cinéma a aujourd’hui besoin de graffeurs pour recréer certaines ambiances, comme dans The Get Down de Baz Luhrmann. Le cinéma et l’art urbain ne peuvent plus se passer l’un de l’autre.
Que souhaitez-vous que le lecteur retienne de votre ouvrage ?
Stéphanie Martin Petit : S’il pouvait participer à démontrer à nombre de gens que le street art n’est pas toujours un acte de vandalisme, ce serait déjà très bien. Je crois que cette compilation prouve à quel point le street art est aussi une action poétique, politique et constructive pour l’environnement urbain.
Ensuite j’espère qu’il va encourager nombre d’artistes et de lecteurs à participer à ce projet en m’envoyant leurs photographies. L’un des artistes présents dans le livre m’a dit après réception de l’ouvrage: “Je ne fais plus beaucoup d’œuvres en rapport au cinéma mais votre livre m’a donné très envie de m’y remettre”.
Christian Omodeo : Léon Moussinac, un des premiers critiques cinématographiques, écrivait en 1926 : “Le cinéma sera populaire ou ne sera pas”. Aujourd’hui, j’aime croire que l’art urbain aussi sera populaire ou ne sera pas ! Le public a un rôle important. Il doit sans cesse rappeler à l’industrie de l’art qu’elle doit apprendre à s’adresser aux masses comme le cinéma le fait depuis toujours. ◊
Street art & cinéma
Stéphanie Martin Petit & Christian Omodeo
Pyramyd Editions
Paru le 14 septembre 2017
35 euros
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