Depuis quelques mois, la ville de Chalon-sur-Saône voit fleurir sur ses panneaux de signalisation des détournements drôles et originaux. L’œuvre d’une force inventive aussi modeste que militante.

Marie-Caroline Brazey est un exemple à suivre. Une «bagarreuse du quotidien» avec un grand ART dedans. Atteinte d’une pathologie neurologique orpheline qui entraîne la paralysie de ses membres inférieurs – le syndrome de Strümpell-Lorrain –, elle lutte courageusement au quotidien. Mais loin de se laisser abattre, cette jeune femme au caractère solaire a pris le parti de faire de son handicap la source d’inspiration où puise son intarissable créativité.
Un autre regard, frais et pertinent
Cette créativité, Marie-Caroline l’exprime dans la rue, «magnifique terrain de jeu sans limite», sur le mobilier urbain. Et plus particulièrement sur les signalétiques portant le pictogramme pour les personnes à mobilité réduite.
«Tout a commencé quand j’ai reçu ma carte de stationnement, qui ancre le handicap dans la réalité de la routine», explique-t-elle. «C’est là que j’ai eu envie de détourner son pictogramme pour le faire sortir du cadre et jouer avec les représentations que l’on se fait de lui».

A l’image de Clet Abraham, dont elle avoue être une grande fan, Marie-Caroline détourne ainsi ce petit bonhomme impersonnel et, il faut le reconnaître, bien tristounet dans son fauteuil roulant. Impensable pour cette jeune femme souriante et pleine de vie ! Piochant ses thèmes autant dans l’univers fantastique que dans les aventures de tous les jours, elle dessine, décalque, découpe puis colle ses réalisations au grand jour, faisant naître des personnages et des histoires poétiques toujours liés à un contexte bien précis. «Le baluchon, c’était à l’occasion d’une escapade; les amoureux, c’était pour la Saint Valentin; la Wonder Woman, elle, a vu le jour au moment de mon départ en rééducation…», énumère l’artiste.
Quant à la licorne ou au rajout de la queue de sirène, elles servent à rappeler que, «quoi qu’il arrive, nous sommes des créatures fantastiques !»
L’art sur le tard, la création comme impulsion
Fantastique, Marie-Caroline l’est clairement. De même que bluffante ! Car celle-ci n’a aucune formation artistique à la base. «J’ai toujours eu la « fibre créative » [mais] avant ce n’était qu’un échappatoire. Cela prenait déjà une grande place dans ma vie mais ça ne sortait pas de mon cocon. Pour ce projet, il me tenait à cœur de partager mes collages pour qu’ils soient la source d’échanges.» Et le pari est relevé puisque sa démarche fait en effet parler ainsi qu’évoluer les mentalités, principalement en bien. «Je reçois quasiment tous les jours des messages d’encouragement. C’est un vrai moteur. » Il faut dire que, malgré sa jovialité, Marie-Caroline a parfois besoin d’être reboostée. «Ce projet et mon entourage m’aident vraiment à chasser les nuages quand ils se présentent. En un an, j’ai dû changer de bolide, troquer mon beau vélo contre un déambulateur, moins fun et moins esthétique. Alors oui, ça joue sur le moral…», se confie l’artiste.

Motivée par ces soutiens en masse, Marie-Caroline n’exclut donc pas de distiller un peu de son imagination sur les panneaux d’autres villes de France, et pourquoi pas à l’étranger. «Il faudrait sûrement revoir le mode de « production » pour améliorer la « productivité », mais cela pourrait être un bon moyen de sensibilisation» s’enthousiasme-t-elle. Et c’est tout le mal qu’on souhaite à cette belle âme.
Car, au-delà du spectacle d’une ville embellie, magnifiée par la spontanéité de son auto-dérision, c’est une leçon de vie puissante que nous offre Marie-Caroline. Pour cause : son œuvre nous prouve que nous, même debout sur nos deux jambes, nous faisons moins avancer le monde qu’elle en fauteuil. ◊
Clotilde Gaillard pour Streep
Marie-Caroline Brazey
Chalon-sur-Saône (71)
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